Les violences conjugales m’ont volé bien plus que des années de ma vie : elles ont brisé ma voix, ma dignité, ma capacité à me projeter. J’ai connu le silence, l’isolement, l’indifférence. J’ai appris ce que signifie avoir peur, chaque jour, dans sa propre maison. Mais j’ai choisi de ne pas disparaître. J’ai choisi de me relever. De dénoncer. De traverser le long et douloureux chemin judiciaire, malgré les blessures, malgré le doute. Cette expérience m’a forgée une conviction inébranlable : tant que la société détournera le regard, je ne me tairai pas. C’est cette conviction qui a donné naissance à WOMENS. Une association que j’ai créée pour prévenir, détecter et accompagner les victimes de violences. Mais aussi pour former, sensibiliser et mobiliser. Car la violence ne s’arrête pas à la porte du foyer. Elle se glisse dans les entreprises, les écoles, les institutions. Elle touche tous les milieux, tous les âges, toutes les professions. Et trop souvent, la grossesse devient le moment où l’enfer commence. Chez WOMENS, nous avons fait un choix clair : la violence est l’affaire de tous. C’est pourquoi nous devons travailler main dans la main avec les entreprises, les collectivités, les établissements scolaires, pour leur donner les outils pour repérer, comprendre, protéger. Je raconte mon histoire pour briser le silence, pour libérer celles et ceux qui n’osent pas encore parler. Pour dire aux victimes : vous n’êtes pas seules. Et vous n’êtes jamais responsables. Ensemble, nous pouvons transformer la honte en force, et la peur en action. Pour un monde sans violence.
Dans mon histoire, il y a mes enfants. Des enfants qui ont grandi sous l’ombre d’un géniteur violent. Frappés. Punis. Menacés. Privés. Inquiétés pour un rien. Même l’eau, même les gestes du quotidien devenaient des instruments de domination. Un enfant ne devrait jamais apprendre la peur avant l’amour. Un enfant ne devrait jamais confondre autorité et terreur. On dit parfois que “les enfants oublient”. Mais c’est faux. La violence imprime son empreinte dans les corps et les esprits. Elle étouffe la joie, elle rend la vie à la souffrance. J’ai compris qu’il fallait dire stop. J’ai compris que l’on ne protège pas un enfant en gardant le silence. Alors, nous avons tourné la page. Pas sans douleur, pas sans lutte. Mais avec la conviction que l’avenir pouvait être construit sur autre chose que la peur. La violence n’est pas un mode d’éducation. C’est un échec. Et je veux le dire pour toutes les mères, tous les enfants, tous ceux qui croient encore que l’on doit supporter “pour le bien de la famille” : non. Le bien, c’est la sécurité. C’est la tendresse. C’est la liberté d’être un enfant. Et c’est cette expérience que je transforme en action, avec WOMENS, pour accompagner celles et ceux qui veulent, eux aussi, tourner la page.
Au commencement, c’était doux. On était deux âmes complices, deux meilleurs amis, deux enfants perdus qui s’étaient reconnus sans masque. Il y avait cette légèreté, cette évidence : tout était possible. On partageait nos silences comme des trésors. On s’aimait déjà sans le savoir. On se protégeait du monde ensemble. On rêvait en grand, comme on rit trop fort dans les débuts.
Puis l’amitié est devenue amour. Et c’était beau. On croyait à l’éternité. Il disait que j’étais la femme de sa vie. Il voulait des enfants, une famille, du respect, de l’égalité. Il m’écoutait, il riait de mes défauts comme on rit d’un grain de beauté. Il disait que jamais il ne me ferait de mal, que son histoire familiale serait un contre-exemple, qu’on briserait les chaînes. Et moi, je le croyais. Parce qu’on a tous besoin d’y croire.
Et puis les enfants sont venus. Ils étaient la lumière. Ils étaient la suite logique de notre amour. Ils nous ont transformés, nous ont unis. Mais ils ont aussi réveillé ce que je n’avais pas vu venir. Ce que lui-même refusait de voir : le poison d’une histoire ancienne qui n’avait jamais guéri.
Un jour, il a changé. Ou peut-être qu’il a cessé de faire semblant. L’homme doux est devenu distant. Puis méprisant. Puis brutal. Il a commencé à boire. À rentrer tard. À ne plus parler. Ou alors pour blesser.
Il a commencé à m’accuser, à me surveiller, à m’interdire. Les promesses d’égalité se sont envolées. Il voulait une femme à la maison, une servante, une mère silencieuse, une épouse disponible. Il ne voulait plus que je travaille. Il disait que c’était mieux pour les enfants. Mais c’était pour mieux m’isoler.
Il me trompait. Il mentait. Il hurlait. Il frappait parfois les murs, parfois les mots. À table, les enfants assistaient au théâtre de la déchirure. Ils voyaient un père autoritaire, une mère vidée.
Et ses collègues ? Une bande de lâches. Des hommes pareils. À couvrir ses sorties, ses mensonges, ses infidélités.
Et moi, je sombrais. Je devenais l’ombre de moi-même. Je perdais mes cheveux, mes dents, mes repères. Mon corps parlait. Il me faisait douter de tout. Il disait que j’étais folle, que j’exagérais. Il me culpabilisait de tout. Il disait que je n’étais pas une bonne mère. Que tout était ma faute.
Il n’était plus un compagnon. Il était devenu son père. Un homme qui pense que les femmes doivent se taire.
Et les enfants ? Ils ont commencé à souffrir aussi. Il leur criait dessus. Il exigeait. Il menaçait. Il était la tempête dans notre maison.
Et sa famille ? Unie en apparence, désunie en coulisses. Chacun trahissait l’autre. On couvrait les violences. On banalisait les humiliations.
Et moi, je vivais dans une prison à ciel ouvert. Chaque jour, un pas de plus dans l’enfer.
Puis un jour, je suis partie. Je n’ai pas crié. Je n’ai pas frappé à la porte. Je me suis juste levée… et je n’ai pas regardé en arrière.
Parce que rester, c’était mourir à petit feu. Parce que mes enfants méritaient mieux que l’odeur du non-dit, les larmes silencieuses, et les menaces étouffées.
J’étais déjà malade. Je n’avais plus d’énergie. Mon corps me lâchait. J’avais peur de vivre. Peur de parler. Je n’étais plus moi.
Mais je savais qu’il ne changerait pas. Qu’il ne s’excuserait pas. Qu’il dirait toujours : « C’est ta parole contre la mienne. »
Et moi ? Je me suis relevée. Petit à petit. Avec la rage de survivre. Avec le désir que plus jamais une femme, une mère, une amie, ne traverse ce que j’ai traversé.
Il y a des enfers qui ne laissent pas de traces visibles. Mais il y a aussi des femmes qui décident que ça suffit.