Quand le droit de visite devient un outil d’emprise : le cas des appels forcés entre enfants et pères violents

Introduction

En tant que professionnelle engagée auprès des victimes de violences, je ne vois qu’une chose : de la souffrance, encore et toujours, dès lors qu’on impose un dialogue entre un enfant et un parent violent, que ce soit le père ou la mère.

Ce que la justice présente comme un « droit au lien » devient, dans les faits, un outil d’emprise, de peur, et de contrôle. Maintenir artificiellement une communication quand il y a eu de la violence n’apporte rien de bon à l’enfant : cela fragilise son équilibre, nourrit sa confusion, et laisse intacte l’influence toxique du parent maltraitant.

Il est temps d’en finir avec cette illusion que le dialogue est toujours bénéfique. Quand il y a de la violence, le silence peut être une protection.

Le cas du Portugal

Au Portugal, comme dans de nombreux pays européens, le système judiciaire impose encore trop souvent aux mères , voire de forcer, des appels téléphoniques ou en visioconférence entre l’enfant et un père, quand bien même ce dernier a été violent, menaçant ou instable. Ces injonctions, qui se présentent comme des mesures de maintien du lien parental, sont en réalité dans bien des cas des vecteurs de contrôle et de harcèlement déguisés, au détriment de la sécurité psychique de l’enfant et de la mère.

Les appels imposés

Les appels imposés quotidiennement, sans prise en compte de l’état émotionnel de l’enfant ni du contexte familial, permettent trop souvent au père de poursuivre son emprise psychologique : questions indiscrètes (“Où est ta mère ?”, “Est-ce qu’il y a un homme chez vous ?”), reproches, injonctions à parler ou à “obéir”, souvent ponctués d’insultes ou de manipulations affectives. Ce ne sont pas là des signes d’un père soucieux de l’enfant, mais d’un homme qui continue à surveiller et dominer la mère par l’intermédiaire du lien parental.

Un système judiciaire encore mal formé

En tant qu’experte en victimologie formée aux récentes recommandations du Conseil de l’Europe, je tire la sonnette d’alarme : les violences conjugales ne s’arrêtent pas à la séparation. Elles se transforment. Et trop souvent, la justice ne sait pas les reconnaître. Elle perpétue alors l’exposition de l’enfant à une relation toxique, sous prétexte d’équité parentale.

Des décisions judiciaires continuent d’ordonner des appels en visio, parfois quotidiens, alors même que l’enfant est en bas âge, fatigué par sa journée d’école, ou qu’il refuse de parler. Parfois, ces enfants ne parlent même pas encore, mais doivent tout de même “apparaître à l’écran” pour satisfaire à une obligation légale qui ne respecte ni leur rythme ni leur intérêt supérieur.

Ce que nous demandons

Nous ne remettons pas en cause le droit des pères à voir ou à parler à leurs enfants, lorsqu’ils sont protecteurs, bienveillants, et respectueux. Mais dans les cas de violences avérées ou de comportements inquiétants, le lien ne peut pas être maintenu à tout prix, surtout si cela signifie sacrifier la santé mentale de l’enfant et la sécurité émotionnelle de la mère.

Ce que nous constatons aujourd’hui, c’est un manque cruel de formation des magistrats, assistants sociaux, psychologues judiciaires, sur les mécanismes d’emprise post-séparation. Tant que ces professionnels ne sont pas formés à la violence psychologique, à l’emprise, et à la manipulation, ils continueront à rendre des décisions contraires à l’intérêt supérieur de l’enfant.

Il est temps de changer de paradigme :
le maintien du lien ne doit jamais primer sur la protection.
Un enfant a le droit de dire non à une communication, de se taire, de se reposer, d’être libre dans sa parole.
Une mère qui protège ne doit pas être pénalisée, mais soutenue.

Le Portugal, comme d’autres pays européens, doit s’engager plus clairement dans la protection des enfants victimes de violences domestiques. Cela passe par une réforme de la justice familiale, une formation obligatoire des acteurs judiciaires, et un changement profond de regard : non, tous les pères ne sont pas protecteurs, et parfois, c’est en coupant le lien que l’on sauve une enfance.

Isabel Costa

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